Prétester: un exemple concret montrant l’utilisation d’un prétest publicitaire

Quand la question du prétest surgit au cours des discussions menant à la production d’une campagne de publicité sociale, généralement, l’objection des publicitaires ou des promoteurs présents se résume en quelques mots : « Ça ne donnera rien de plus ». Et c’est à ce commentaire lapidaire que je souhaite répondre en soulignant que le prétest est probablement une des étapes les moins connues du processus publicitaire.

 

Bien sûr, tout le monde a une idée générale de quoi on parle. C’est une mise à l’essai, une microdiffusion contrôlée auprès de certaines personnes. Mais pour plusieurs publicitaires ou promoteurs, l’idée d’un prétest ressemble à un tribunal où on demande à un jury, composé de personnes qui ne connaissent pas la publicité, de répondre à la question : « C’est bon ou pas ?». C’est le mythe commun, le plus répandu. Et c’est tellement loin de ce qu’est un véritable prétest.

 

Le prétest publicitaire est une recherche, effectuée dans un cadre rigoureux pour en maximiser l’objectivité et la fiabilité. Il repose sur une analyse du public ciblé, des questions à explorer, des effets attendus autant que des effets indésirables à éviter. Il sert à obtenir des informations, pas à décider. Et il sert souvent à voir ce qui était invisible aux yeux des équipes impliquées dans la création publicitaire.

 

Il existe plusieurs façons de prétester. Quelques paragraphes ne peuvent détailler les caractéristiques distinguant les différentes formes de prétests (par entrevue brève, longue, en ligne, individuelle, en groupe, en situation réelle d’exposition, en laboratoire, etc.). Le prétest est au cœur de mes études doctorales, mais j’ai une soutenance de thèse à terminer avant d’attaquer la rédaction d’un bouquin sur le sujet. C’est toutefois un projet à long terme que j’espère réaliser d’ici quelques années !

 

L’intérêt du prétest va au-delà des arguments stratégiques incontournables (en permettant de répondre à la question « Comment avez-vous pu investir un demi-million dans une réalisation sans avoir vérifié avant les probabilités de succès? » ou prévenir les dégâts en se disant « Si l’échec se produit, au moins on pourra montrer qu’on avait pris les moyens raisonnables pour affirmer qu’on avait des chances de réussir »).

 

Pour les professionnels, le prétest est une étape intégrée au processus de production publicitaire. Il qui pointe les faiblesses, repère les risques, suggère les améliorations et confirme souvent les situations ambiguës. C’est l’étape finale d’un processus où la raison et l’émotion se rencontrent. C’est le lieu où l’enthousiasme doit se conjuguer à la logique marketing. C’est une erreur d’y voir une démarche facultative, même en publicité sociale.

 

Pour illustrer ces affirmations, je présente ici le rapport d’un véritable prétest réalisé avant la diffusion d’une publicité sociale provenant d’une institution gouvernementale. Il s’agit du rapport final du prétest d’une pièce publicitaire conçue pour être diffusée dans plusieurs quotidiens québécois. Le prétest que je vous présente [1] a été mené par une entreprise québécoise (SOM recherches) indépendante de l’équipe ayant conçu la publicité, une pratique souhaitable en communication publicitaire lorsque des investissements importants sont en jeu. C’est un moyen qui permet d’affirmer l’objectivité de l’évaluation auprès des tiers (un peu comme on demande habituellement à des comptables externes à une entreprise de produire un rapport de vérification).

 

Le rapport repose sur un questionnaire administré par Internet. Bien entendu, l’élaboration de ce questionnaire a été fait en collaboration étroite entre les responsables de la recherche, chez le promoteur, et la firme de sondage. Le sondage web permettait d’exposer les répondants (appartenant à un panel maintenu par l’agence de recherche) au document graphique que le promoteur souhaitait diffuser dans les quotidiens.

 

Le sondage qui a servi au prétest a été rempli par 562 répondants âgés de plus de 18 ans, en mai 2016. L’échantillon produisait une marge d’erreur de 5,0% (la méthodologie est présentée dans le rapport). Il faut savoir que même si certains sondages cherchent à atteindre une précision supérieure, le responsable d’un prétest doit évaluer le besoin de précision nécessaire, une précision élevée entraîne des coûts supérieurs. Dans le cas présenté, le seuil de 5 % avait probablement été jugé suffisant. Notons qu’un prétest publicitaire valable peut aussi être mené par recherche qualitative, où la notion de marge d’erreur de s’applique pas.

 

Dans l’étude rapportée, le sondeur a donc présenté aux participant la pièce publicitaire à prétester (page 2) en vérifiant d’abord la compréhension du message. Puisque la publicité avait uniquement un objectif informatif, c’était l’élément le plus important à vérifier.

 

Pour éviter l’erreur d’une question simpliste et biaisée (du type « Comprenez-vous le message transmis par l’annonceur, oui ou non ? ») on a demandé aux répondant de reformuler en une phrase le message, dans leurs propres mots (p.4). Cette section du prétest cherchait à mesurer la compréhension du message (une publicité peut être aimée sans que le message perçu soit celui désiré … ce qui relativise la pratique fréquente où on se limite à vérifier si les gens « aiment » un projet publicitaire).

 

On a ensuite vérifié si d’autres messages pouvaient être décodés. En effet, il est habituel de décoder différents messages dans une publicité. Les réponses à cette vérification confirmaient une compréhension correcte de 95% des répondants.

Les autres questions du sondage portaient sur différents aspects de la pièce publicitaire (perception du public visé, clarté du texte, …).

 

final, le prétest indique une compréhension satisfaisante du message, mais les auteurs notent que seulement 39% des personnes exposées le trouvent très clair. Pour près d’une personne sur 5, une clarification ou une simplification pourrait être souhaitable. Cette difficulté de compréhension, lit-on à la page 8, est plus importante chez les personnes de 65 ans et plus, chez les 45-54 ans et chez les personnes dont le revenu familial est inférieur à 35 000$. Il s’agit de groupes précis où on pourrait vouloir améliorer la compréhension.

 

On le voit, le résultat d’un prétest dépasse le simple « C’est bon ou pas? ». Le rapport de prétest est un document d’information présenté aux différents responsables d’une activité publicitaire. C’est à eux, ensuite, qu’il incombe de décider de la pertinence d’éventuelles modifications au matériel publicitaire ou à l’action de communication. Le prétest éclaire les décisions, identifie des particularités, distingue des sous-groupes ou des éléments problématiques, souligne les forces ou les avantages insoupçonnés. Il prépare aussi les relationnistes ou les porte-paroles à affronter des critiques anticipées. Il aide à documenter l’effet attendu.

 

Le prétest n’est jamais une façon d’éviter d’avoir à assumer la responsabilité d’une décision (comme certains le souhaiteraient parfois). Loin d’être un tribunal qui décrète la vie ou la mort d’un projet publicitaire, le prétest est un regard qui éclaire les choix à faire.

 

Mais pourquoi les réticences fréquentes ? On doit admettre qu’il s’agit d’un processus faisant en sorte que la production publicitaire échappe temporairement au contrôle des concepteurs et des promoteurs, à qui on demande de soumettre leur projet à un tiers. Le geste n’est pas facile pour des professionnels engagés et enthousiastes qui ont souvent passé des heures à concevoir un projet publicitaire. C’est souvent l’explication des réticences et des cyniques du milieu publicitaire à l’endroit du prétest.

 

Au final cependant, pour le promoteur qui investit dans une campagne, une seule question devrait se poser : « Est-ce que j’ai les moyens de ne pas tout tenter pour m’assurer du succès de l’investissement publicitaire prévu ? ».

 

 

 


[1] Ce document a été obtenuen vertu de la Loi d’accès à l’information qui, au Québec, permet aux citoyens d’accéder à pareils documents. Il est accessible sur Internet . Il a été téléchargé le 11 décembre 2021. (https://www.msss.gouv.qc.ca/inc/documents/ministere/acces_info/demandes-acces/2016-2017/2016-2017.276-Document-6.pdf .

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