Quand le contexte d’exposition peut modifier l’efficacité d’une publicité sociale ...

Le placement média : élément essentiel de l’efficacité de publicités sociales.


Un commentaire lié à la publication suivante:

Sar, S., & Anghelcev, G. (2015). Congruity between mood and message regulatory focus enhances the effectiveness of anti drinking and driving advertisements: a global versus local processing explanation. International Journal of Advertising, 34(3), 421-446. doi:10.1080/02650487.2014.996198


En prenant comme prototype une publicité destinée à réduire la conduite automobile sous influence d’alcool, les chercheurs ont examiné les variations d’efficacité liées à l’humeur des personnes exposées. L’humeur (les auteurs parlent du mood), est « a diffuse and generalized form of affect experienced at low to mild intensity levels, which can range on a continuum of positive to negative valence » (p.422). L’écoute de certaines émissions télévisées peut générer chez les spectateur une humeur positive (par exemple, lors de l’écoute de séries humoristiques) ou négative (par exemple, dans l’écoute de drames policiers ou d’horreur). Notons qu’il est aussi possible d’éprouver une humeur neutre, mais les auteurs se préoccupent plutôt de l’effet des humeurs positives ou négatives.


Les chercheurs appuient leur démarche sur la théorie de l’ajustement cognitif (cognitive tuning theory de Schwarz 2002; Schwarz et Bless, 1991), qui postule que l’humeur d’une personne est une donnée utilisée par cette dernière pour apprécier son environnement. Le cerveau ajuste ses processus cognitifs pour tenir compte de la situation qui est décodée. On peut donc comprendre que son humeur informe la personne de la présence (ou de l’absence) de menaces éventuelles dans son environnement. Une humeur positive permet de considérer que l’environnement est peu menaçant, permettant au cerveau de réduire l’énergie déployée pour scruter et repérer de possibles agressions. L’attention portée aux détails environnants est donc réduite, permettant aux processus intellectuels de traiter de questions plus abstraites. Si elle est d’humeur positive, la personne s’intéresse donc moins aux détails de ce qu’on lui présente. Elle approchera ce qu’elle perçoit dans sa globalité plutôt que dans ses composantes. Par contre, la personne dont l’humeur est négative sera plutôt portée à évaluer les détails, les composantes, les éléments plutôt que l’ensemble.


À ce stade de leur exposé, les chercheurs effectuent un rappel des deux processus utilisés par les humains pour traiter l’information :


  • le traitement de l’information global (global processing), où une personne fait davantage appel à la créativité, où elle catégorise et est portée à voir les similitudes entre différentes situations plutôt que les différences entre des éléments ponctuels. Elle perçoit alors la forêt avant l’arbre.
  • le traitement de l’information local (local processing) se manifeste plutôt dans le détail, le concret plutôt que l’abstrait. Les arbres sont perçus avant la forêt.


Des études ont montré que les personnes satisfaites de leurs accomplissements avaient ensuite tendance à décrire leurs actions de manière plus abstraite et générale (ce qui est un indicateur de traitement global). Les personnes d’humeur négative ont plutôt tendance à traiter localement l’information et leur humeur inhibe la vision globale, favorisant une plus grande attention aux détails.


S’appuyant sur ces principes théoriques, les auteurs ont voulu vérifier les liens entre l’humeur et l’efficacité de publicités sociales. Pour ce faire, ils ont distingué les grandes orientations des publicités sociales : celles qui sont du type « prévention » et celles qui sont du type « promotion »:


  • les publicités de type « promotion » sont orientées vers l’atteinte d’objectifs ou de résultats (comme ci-dessous, où on désirera propager la santé…). Les personnes qui adoptent les comportements proposée se voient « progresser », elles sont attentives aux conséquences positives ou négatives de leurs actions.
  • les publicités de type « prévention » sont orientés vers l’évitement de la rechute ou du problème. Les personnes cherchent alors à tenir une menace éloignée (comme ci-dessous, où on voudra éviter d’être victime d’un virus menaçant), à éviter les conséquences négatives d’un geste.


Une publicité de type « promotion"

Une publicité de type « prévention"


L’étude dons nous discutons ici démontre qu’on peut accroître l’efficacité de publicités de type « prévention » ou « promotion » quand le message produit soit congruent avec l’humeur du public exposé.

 

Quelles conséquences possibles pour la pratique de campagnes sociales ?


Une seule étude ne suffit pas à prouver une théorie. Mais, dans l’univers des pratiques en campagnes sociales, elle peut apporter un nouveau regard et offrir des pistes qui méritent d’être explorées. Les commentaires qui suivent sont formulés dans cette perspective.


Dans la recherche dont nous avons discuté, les publicités de type « promotion » sont plus efficaces quand le public qui les voit se trouve dans un état d’esprit positif. Par contre, les publicités de type « prévention », orientées vers l’évitement de problèmes, sont plus efficaces quand le public exposé se trouve dans un état d’esprit « négatif ».


Pour le praticien de campagnes sociales, l’article a des conséquences pratiques. On y énonce l’importance d’un placement média réfléchi et planifié, et le critère utilisé pour juger de la pertinence d’un placement en particulier tient à l’humeur des personnes au moment où elles seront exposées.


On peut avoir tendance, en publicité sociale, à accorder une importance beaucoup plus grande à la création publicitaire qu’à sa diffusion.  On envisagera alors la diffusion comme une étape mineure, invoquant des notions dérivées de la publicité de masse commerciale, jugeant de la pertinence d’un placement en fonction de son « poids », de son auditoire ou son lectorat. Bref, en considérant le nombre de personnes du groupe ciblé qui sont théoriquement exposées. L’idée sous-jacente à ces pratiques s’apparente à celle du bombardement publicitaire : le déversement aérien d’information sur une ville ou une région surpeuplée, une tactique prisée par les stratèges militaires friands du déversement aérien de feuillets de propagande pour miner le moral de l’ennemi.


La publication de Sar et Anghelcev dont nous discutons suggère plutôt que le praticien soucieux de l’efficacité de sa campagne doit se donner la peine de choisir les lieux, les émissions télévisées ou radiophoniques diffuser sa publicité. Ses choix devraient être dictés par l’humeur probable des personnes qui seront alors exposées. La nature des endroits où la publicité doit être placée repose à la fois sur le type de message (promotion ou prévention) et sur l’humeur générée par le média (positive ou négative).


Cette recherche nous dit aussi qu’un placement média bâclé, ou « à l’aveugle », peut nuire à l’efficacité d’une campagne.


Une émission d’info matinale tout sourire, où les animateurs ou les invités font briller leurs dents avec moult éclats de rire serait le véhicule idéal pour y insérer une publicité à tonalité « promotion » où qui incitera le public à relever des défis, à avancer vers la santé, à améliorer sa ligne, etc. Une émission aux accents dramatiques, un polar sombre, une série alignant les meurtres, les intrigues complexes, les conflits … générateurs d’humeurs négatives, conviendront mieux aux publicités à tonalité « prévention », où on fournira au public les recommandations permettant d’éviter la maladie, la mort, l’inconfort ou le regret.


Toutes ces considérations ont un certain intérêt pour les praticiens du marketing commercial qui font la promotion de grandes marques, déjà sensibilisés au phénomène grâce à plusieurs études soulignant l’importance de l’humeur du consommateur à qui on souhaite vendre (Aylesworth, A. B., & MacKenzie, S. B. (1998; Batra, R., & Stayman, D. M. (1990); Yan, C. M., Dillard, J. P., & Shen, F. Y. (2010)).

Mais pour les publicitaires et praticiens qui produisent des publicités sociales, tributaires de budgets très limités, leur intérêt ne fait aucun doute.




Sources mentionnées:

Batra, R., & Stayman, D. M. (1990). The role of mood in advertising effectiveness. Journal of Consumer Research, 17(2), 203-214. 

Aylesworth, A. B., & MacKenzie, S. B. (1998). Context is key: The effect of program-induced mood on thoughts about the ad. Journal of Advertising, 27(2), 17-31. 

Yan, C. M., Dillard, J. P., & Shen, F. Y. (2010). The effects of mood, message framing, and behavioral advocacy on persuasion. Journal of Communication, 60(2), 344-363. 

Les propos exprimés n'engagent que l' auteur.  Ils ne représentent pas l'opinion des personnes et organisations mentionnées         © Claude Giroux 2017-2023