Utiliser le dégoût

Lupton (2015) propose une théorisation du dégoût où elle identifie des éléments récurrents provenant de diverses analyses, tout en faisant valoir les composantes culturelles et sociales liées au dégoût. Dans les sociétés développées, le dégoût serait associé à l’animalité ou à des conditions corporelles humaines extrêmes (mort, maladie, putréfaction). Cette dimension serait associée au rappel de la vulnérabilité, de la dégénérescence du corps et de la mort. Les productions du corps humain ou les brèches ouvertes dans l’enveloppe corporelle (blessures, organes internes, excréments, urine,…) font partie de cet univers. On en retrouve une illustration, dit Lupton, dans les campagnes de santé publique faisant référence aux hémorragies, à l’amputation, aux lésions organiques.


Lupton questionne les implications éthiques du recours au dégoût. La stratégie n’est pas anodine prévient aussi Charlotte Pezeril (2011) qui souligne que « le dégoût est donc un sentiment particulièrement violent », faisant appel à une réponse sans compromis, pouvant même justifier des mesures pénales ou coercitives pour réduire le risque telle que la criminalisation de certains comportements).


 Voici des vidéos de campagne illustrant l’utilisation du dégoût pour


… prévenir le tabagisme



 prévenir l’obésité





Lectures suggérées :


Bülbül, C., & Menon, G. (2010). The power of emotional appeals in advertising. Journal of Advertising Research, 50(2), 169-180. 

Les auteurs examinent l’utilisation de stratégies fondées sur l’affect relativement aux décisions à court et long terme des personnes exposées. Introduisant les notions d’affect abstrait et d’affect concret, ils démontrent que l’affect concret est plus efficace pour agir sur les intentions comportementales à court terme, tandis que l’affect abstrait serait plus efficace lorsqu’on considère le long terme.


Lupton, D. (2015). The pedagogy of disgust: the ethical, moral and political implications of using disgust in public health campaigns. Critical Public Health, 25(1), 4-14. 

Le dégoût a souvent été utilisé pour convaincre certains publics de modifier leurs comportements en matière de santé. L’auteur de cet essai critique scrute cette pratique en faisant valoir les implications éthiques, morales et politiques de la pédagogie fondée sur le dégoût en santé publique.  Lupton souligne, entre autres, que l’usage du dégoût a augmenté la stigmatisation et la discrimination à l’endroit de certaines personnes dont le comportement est posé comme dégoûtant. L’auteur met en garde les promoteurs tentés par cette stratégie contre les risques posés pour la dignité humaine et le renforcement d’une vision dichotomique opposant le « soi » à « l’autre ».

 

Leshner, G., Bolls, P., & Thomas, E. (2009). Scare' em or disgust 'em: the effects of graphic health promotion messages. Health Communication, 24(5), 447-458. 

Il s’agit d’une étude expérimentale portant sur les deux principaux messages véhiculés par les publicités antitabagiques télévisées : l’appel à la menace pour la santé (peur) et la présentation d’images suscitant le dégoût. Les résultats suggèrent que les deux stratégies agissent significativement sur le processus d’encodage du message et de rappel subséquent, mais elles le font de manière différente. L’utilisation d’une ou l’autre stratégies ont été efficaces dans l’expérimentation, mais leur présence combinée dans un même message a nui à la performance observée. Selon les auteurs, si on souhaite utiliser une stratégie fondée sur la peur, il est important de fournir aux personnes exposée des contenues permettant d’améliorer tant la réponse à la menace que la perception d’efficacité personnelle (self-efficacy).

 

Pezeril, C. (2011). Le dégoût dans les campagnes de luttre contre le sida. Ethnologie française, 41(1), 79-88. 

 Après avoir été particulièrement attentives aux questions de discrimination et de stigmatisation des personnes vivant avec le VIH/sida, les campagnes médiatiques de prévention s’appuient à nouveau en France, depuis les années 2000, sur les ressorts du dégoût et de la peur à l’égard non seulement de la maladie, mais surtout des personnes atteintes. Cet article analyse quatre figures majeures du dégoût tel qu’il est mis en scène dans ces campagnes. Il tente de comprendre leur émergence et leurs articulations avec la politique de prévention et de lutte contre le sida, et plus largement avec la biopolitique et le gouvernement des corps. (résumé de l’auteur)

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