Une publicité commerciale, conçue par l’agence LG2 et diffusée au Québec en décembre 2021, nous offre une remarquable occasion de réfléchir à nos pratiques en matière de publicité sociale et à notre difficulté à innover en concevant autre chose que ce que nous sommes habitués de voir et revoir depuis des décennies.
En produisant une publicité de promotion de sa marque (branding), la chaîne québécoise de produits d’animalerie Mondou a retenu la proposition des publicitaires et accepté d’adapter son message au contexte contemporain de pandémie favorisant l’adhésion aux consignes hygiéniques. Le message télévisuel qui en résulte s’avère unique à plusieurs égards et mérite d’être considéré comme une pièce d’anthologie en publicité sociale.
Le message de 30 secondes conçu pour la télévision québécoise offre aux spécialistes de la publicité sociale une belle occasion de réfléchir aux pratiques publicitaires dominantes en prévention et promotion de causes sanitaires ou sociales. Parmi les éléments qui font de cette publicité une communication remarquable, notons que :
- On y fait
																																												référence à la pandémie COVID-19 sans jamais explicitement nommer le virus ou
																																												faire référence à la maladie ou aux risques sanitaires.
 - On y
																																												utilise le dégoût comme émotion principale plutôt que la peur. Cette tonalité
																																												convient davantage aux intérêts d’un annonceur commercial (en fait, en
																																												publicité, seules les autorités font un usage très explicite de la peur). On
																																												constate ici que le dégoût est une émotion forte[1] qui permet d’éviter le « blocage » souvent observé quand on cherche à
																																												influencer le public en l’exposant à des scènes violentes ou inquiétantes.
 - On y
																																												utilise l’émotion comme moteur du changement de comportement plutôt que la
																																												logique ou l’argumentation factuelle. Ce faisant, on emploie une approche différente
																																												des pratiques privilégiées traditionnellement par les promoteurs de la santé qui
																																												peinent à croire qu’on peut convaincre autrement qu’en montrant des
																																												statistiques ou l’autorité de scientifiques (ce qui est probablement efficace
																																												dans leur cas, mais qui ne correspond pas à la réalité du grand public).
 - On y
																																												trouve une signature privée, celle d’une entreprise à but commercial plutôt que
																																												celle de l’État ou d’une autorité sanitaire qui termine habituellement ce genre
																																												de publicité. Le signataire n’appartient pas à la sphère politique et personne
																																												ne lui prêterait pareille velléité. Loin d’en réduire l’efficacité en matière
																																												de prévention, la nature inusitée de la signature agit ici comme un élément
																																												persuasif supplémentaire alors que la « source » du message [2] – qui
																																												ne peut être associée aux débats pro- ou anti- mesures sanitaires – répercute
																																												un discours abordant l’hygiène sous un jour complètement différent.
 - On y utilise l’humour intelligent, esquissant les liens favorisant l’hygiène sanitaire sans surenchère, avec finesse, en tissant une complicité entre le spectateur et l’annonceur. Si la situation est cocasse, elle ne vise pas à culpabiliser qui que ce soit. En contraste, dans l’univers des publicités préventives, on observe la plupart du temps l’utilisation d’un ton paternaliste, autoritaire et doctoral qui laisse souvent entendre que la personne exposée manque de connaissances ou d’aptitudes. Ou que son comportement pourrait blesser ou tuer des innocents. Rien de tout ça ici.
 
																																												
Cette publicité a bien entendu été conçue pour répondre aux exigences de « branding » du client. Nul ne prétend le contraire. Mais, en poussant notre analyse dans une zone où les concepteurs eux-mêmes ne se sont probablement pas aventurés, on découvre des éléments qui révèlent qu’il s’agit probablement d’une des communications préventives québécoises récentes les plus efficaces sur l’actuelle crise sanitaire (pour comparer, on peut voir ci-dessous un exemple représentatif de nombreuses publicités produites au Québec pour informer et convaincre la population de maintenir les gestes barrières).
														
La publicité diffusée par une entreprise privée démontre bien que le message de promotion de la santé n’a nul besoin d’être une exclusivité de l’État. Que les entreprises commerciales peuvent s’y associer et y trouver leur compte en matière d’image corporative. Et que l’efficacité du message préventif pourrait même y gagner.
Finalement, cet exemple démontre l’utilité de laisser les publicitaires évoluer sans entraves dans l’univers où ils excellent, celui de l’émotion, lorsqu’on leur demande de concevoir des publicités sociales. L’expertise scientifique et l’expertise publicitaire ont toutes deux leur place quand vient le temps de produire une publicité sociale.
																																												
																																												
[1] Rachel Herz (That’s disgusting. Unraveling the mysteries of repulsion, 2012) note que le dégoût est une émotion complexe mais universelle, qui motive toujours l’évitement.
[2] Le rôle de la source du message et son impact important sur l’efficacité persuasive a été exposé avec brio par D. O’Keefe (1990) dans Persuasion. Theory and Research