Prétester pour déterminer le meilleur scénario publicitaire

Avez-vous un ami qui dit « Moi, j’ai confiance à mon instinct. Quand je traverse un boulevard, je ferme les yeux. Depuis le temps que je traverse des rues, j’ai développé un sixième sens qui m’évite d’avoir à fatiguer ma vue » ? Non ? Croyez-vous que ce soit parce que vos amis manquent d’expertise ? Ou qu’ils sont trop craintifs ?

 

L’analogie avec le lancement d’une campagne de publicité sociale est là. Parce que, dans les prochains paragraphes, je vais vous parler de prétester un projet publicitaire, pour éviter des accidents. Vous le faites probablement déjà en rédigeant des textes que vous relisez ensuite plusieurs fois ou qui sont confiés à un reviseur externe. Le prétest publicitaire répond à la même logique.

 

Quand surgit la question du prétest dans les discussions autour d’un projet de pub, habituellement, l’objection des publicitaires ou des promoteurs présents se résume en quelques mots : « Ça ne donnera rien de plus ». Et c’est à ce commentaire sans appel que je souhaite répondre en soulignant que le prétest est probablement une des étapes les moins connues du processus publicitaire.

 

Pour l’illustrer, je vous fournirai un véritable prétest qui a servi à distinguer le meilleur projet publicitaire parmi 3 projets. Il s’agit d’un prétest par groupe de discussion (focus group réalisé par l’entreprise de recherche SOM, une firme québécoise de recherche indépendante. Par souci d’objectivité, les pros de la publicité sociale confient généralement leurs études à un partenaire qui n’a pas participé à l’élaboration de la campagne.

 

Il est bon de noter le caractère inusité de cette démonstration. C’est très rare qu’un rapport de prétest soit accessible au public. Dans le cas dont nous traiterons, le client était un organisme gouvernemental assujetti à la Loi d’accès à l’information. Le rapport de prétest a été communiqué à un requérant qui l’avait demandé il y a quelques années avant d’être déposé sur le site web de l’institution dans un répertoire cumulant les réponses aux demandes de ce type. Avec un peu de recherche et beaucoup de patience … hop ! Le document peut être consulté par tout le monde.

 

Pour les lecteurs de Pubsociale, voilà donc une belle – et exceptionnelle – occasion d’ouvrir la boîte de Pandore et d’analyser un exemple concret de prétest pour démystifier l’image simpliste du processus, apprécier sa richesse et réaliser son intérêt pour les producteurs de campagnes.

 

Le prétest d’une campagne de sensibilisation aux troubles anxieux

 

Le prétest dont nous parlerons a été fait pendant la préparation d’une campagne de sensibilisation aux troubles anxieux, diffusée il y a quelques années au Québec. Le promoteur (ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec ou MSSS) avait obtenu d’une agence de publicité 3 projets publicitaires pouvant être utilisés. Puisque les 3 projets comportaient des effets spéciaux et abordaient des questions délicates, et qu’un seul pouvait être retenu, le prétest allait de soi. Les décideurs avaient besoin d’éléments permettant d’éclairer leur choix. Et ils souhaitaient repérer les forces et faiblesses des propositions, au-delà des réactions instinctives des publicitaires ou de leur entourage. Pour ce faire, quatre groupes de discussion (focus groups) ont été tenus avec des participants âgés de 25 à 60 ans, à qui on a présenté les projets. Le guide d’animation du prétest a été rédigé en collaboration par l’animateur et le responsable des évaluations de campagne au MSSS.

 

En parcourant le rapport du prétest, on trouve une section « Faits saillants » (page 6) résumant le document pour le lecteur pressé. Pour plusieurs décideurs surchargés, c’est souvent la seule partie du rapport consultée. Mais pour les artisans de la campagne et les spécialistes, les informations utiles se trouvent davantage dans les sections suivantes.

 

La campagne de sensibilisation aux troubles anxieux du MSSS planifiée s’inscrivait dans la continuité de campagnes précédentes sur le même thème. Le responsable de l’évaluation y a trouvé une belle occasion de vérifier la réceptivité du public à une nouvelle publicité gouvernementale sur le sujet. Pour connaître l’accueil réservé à la nouvelle campagne, la première partie des discussions de groupe a été consacrée à discuter de l’opinion des participants à l’endroit des publicités de sensibilisation déjà diffusées. Il en est ressorti que la population visée était ouverte à l’idée d’une nouvelle publicité abordant le même sujet. Puisque l’annonceur appartenait à une institution gouvernementale, il est pertinent de constater que le seul point légèrement négatif observé était lié au fait que des budgets étaient investis en publicité plutôt qu’en soins à la population (p.9). Des auteurs ont déjà documenté la présence d’une dualité citoyen/contribuable qui fait en sorte que les personnes adoptent souvent une attitude critique face aux actions gouvernementales lorsqu’ils se positionnent comme contribuables plutôt que comme simple citoyen. Le phénomène observé semblait de cet ordre. La chose n’a cependant pas semblé suffisante pour faire obstacle à la crédibilité ou à l’efficacité du message.

 

Les 3 concepts ont été présentés aux participants. Puisque les budgets de publicité sociale sont souvent réduits, l’utilisation d’une cinématique servant à présenter chaque projet était trop coûteux pour les promoteurs. Un autre dispositif a donc été utilisé pour minimiser le biais de désirabilité habituel quand un créatif présente lui-même ses concepts: on a demandé à l’agence publicitaire d’enregistrer une présentation de chaque concept sur une capsule vidéo qui était diffusée à chaque groupe de discussion. On s’assurait ainsi que les participants des 4 groupes étaient exposés au même matériel, présenté de la même façon en utilisant le même vocabulaire. Le détail n’est pas insignifiant. Dans des groupes prétest, j’ai souvent entendu les participants échanger, après le départ du créatif qui avait présenté ses projets. Et des commentaires comme « Dieu qu’il est sexy ! » ou « Plus ennuyant que ça tu meurs » ou « Il me fait penser à mon beau-frère » n’étaient pas rares, ce qui introduisait un risque de biais qu’il convenait de réduire.

 

Les 3 concepts sont résumés à la page 8. Les projets détaillés complets appartenant à l’agence de publicité (ici, l’agence québécoise LG2), il serait inapproprié d’insérer dans le rapport le matériel qui n’a pas été « retenu et payé » par le client. On trouve donc dans le rapport quelques lignes et une esquisse chaque projet présenté.

 

À la page 8, on résume aussi 2 techniques d’animation utilisées afin de favoriser l’expression libre des opinions individuelles. Dans l’exploration de sujets délicats, comme c’est le cas ici, les tests projectifs et d’autres techniques sont souvent utilisés pour réduire les biais de désirabilité ou aider les personnes à articuler une opinion complexe. Lors du prétest, puisqu’on veut savoir ce que les participants pensent réellement, on peut utiliser un arsenal d’animation qui fournit les techniques pour obtenir les données plus difficiles à colliger. Dans le cas présent, l’animation a été confiée par la firme SOM à une animatrice aguerrie et familière avec ces méthodes qui, on doit l’avouer, ne sont pas à la portée du premier venu.

 

L’analyse des 3 concepts a permis de dégager les points forts et les points faibles révélés lors des discussions dans. La technique d’exploration a mis en lumière différents niveaux de compréhension (p.11) : on y a décodé a) un message d’information destiné aux victimes de troubles anxieux, b) un message incitatif suggérant à ces personnes d’aller chercher de l’aide, c) un message destiné à rompre l’isolement de ces personnes et d) un message destiné à sensibiliser la population en général à la nécessité collective de se préoccuper des personnes atteintes.

 

Habituellement, le promoteur souhaite qu’un prétest l’aide à repérer les éléments vulnérables d’un projet publicitaire. Ce qui est le cas dans le prétest à l’étude. Notons entre autres que les participants ont souligné que la référence à un site sur Internet ne constituait pas une véritable réponse à la gravité de la situation présentée dans la publicité. Les publicités montraient un drame humain déchirant, alors que la solution proposée (le nom d’un site web) était désincarnée et froide. Plusieurs semblaient préférer une solution humaine, telle une ligne d’aide téléphonique avec de véritables intervenants au bout du fil, à une solution électronique (un URL).

 

Les résultats du prétest ont mené le promoteur à choisir le concept « voix intérieure », dont les participants avaient dit qu’il « faisait réellement partager le vécu d’une crise de panique ». Lors des discussions, les groupes avaient révélé que le concept produisait chez eux une certaine proximité émotionnelle, permettant de ressentir ce que la personne anxieuse vivait. (p.15)

 

Il est bon de considérer que chaque concept reposait sur des effets spéciaux que les participants devaient imaginer. Ce qui apportait un degré de difficulté significatif dans l’analyse des opinions et qui suscitait de la méfiance chez les publicitaires qui doutaient de la capacité des gens à comprendre qu’on se trouvait dans une situation où, dans une séquence véhiculant la métaphore d’un dialogue intérieur, une personne anxieuse se parlait. Ironiquement, plusieurs participants ont eu le même commentaire en pensant plutôt aux spectateurs devant leur poste de télé. Dans les commentaires liés au projet retenus, notons que plusieurs personnes ont jugé encombrant et peu nécessaire la présence d’un micro devant le personnage concrétisant la « voix intérieure ».

 

Le résultat ? Dans un premier temps, le promoteur a jugé avoir les informations suffisantes pour arrêter son choix. Et tant l’agence de publicité que le promoteur ont tenu compte des résultats du prétest dans la réalisation du projet publicitaire dont certains éléments ont été ajustés (par exemple, le micro initial a disparu). La réalisation et le montage ont porté une attention particulière à la clarté de la situation et à la composante « proximité émotionnelle ». La suggestion d’insérer une référence téléphonique n’a pas été retenue, probablement parce qu’un tel service n’existait pas. Ce nous rappelle les limites de la publicité sociale qui n’est pas une fin en soi. Elle demeure, malgré toutes ses qualités et sa capacité à toucher les esprits, un simple instrument d’influence. Elle suggère, incite, oriente … mais, elle ne sera jamais une réponse concrète à un problème ou le substitut d’une interaction humaine. Surtout quand son financement utilise des fonds pouvant être investis dans des services directs à une population menacée, les publicitaires ont le devoir de s’assurer qu’elle est nécessaire, efficace et utile.

Cela, les professionnels de la publicité sociale ne doivent jamais l’oublier.


Pour voir le clip publicitaire final qui a été diffusé:

 


 Et pour parcourir le rapport complet du prétest (version pdf mise en ligne par le MSSS) , c’est ICI  

Ce document a été obtenuen vertu de la Loi d’accès à l’information qui, au Québec, permet aux citoyens d’accéder à pareils documents. Il est accessible sur Internet . Il a été téléchargé le 13 décembre 2021. 

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